Journal d'Architecture
Giairo Daghini
S'emparer du présent
Un événement récurrent de notre époque est l'annonce d'une fin: mort de l'art, fin du social et fin du réel, déclin du futur et fin, aussi, de l'architecture... La pensée de la fin ou de la catastrophe a ceci de particulier que, après chaque fin annoncée, cette pensée se redonne à nouveau la parole. Si tel est le cas, on doit alors admettre que change le statut de «fin de quelque chose» en tant que tel: la fin devient renouvelable.
Ainsi, alors que s'effondrent autour de nous les édifices qui paraissaient les plus solides, les grands projets urbains qui prétendaient totaliser un territoire, ou encore ceux qui, en architecture, visaient le statut d'universalité du modèle - et que beaucoup de choses semblent advenir pour la première fois - nous découvrons qu'en réalité, elles continuent à se poser chaque jour à nous comme problème. Un des paradoxes que nous vivons aujourd'hui est d'être en permanence confrontés à quelque chose qui semble sur le point de finir et qui, pourtant, advient toujours, et à nouveau, sous une forme que nous ne reconnaissons pas encore.
Cette condition désigne une rupture à l'intérieur de la modernité. Mais pas une rupture quelconque. D'abord, celle-ci ne peut plus être exprimée en termes d'histoire linéaire. Elle ne s'affirme plus comme la forme qui dit d'elle-même «du passé, faisons table rase», conséquence et effet d'une idée du Nouveau qui, depuis un siècle au moins, perdure, comme une totalité irréalisée, sous le nom de «modernité»; elle ne s'affirme plus, non plus, dans le dicton: «du passé, de l'histoire, faisons la légitimation du présent», comme cela semble implicite dans ces courants d'architecture qui rêvent de rétablir la «ville à l'identique», pareille à celle construite en d'autres temps et dans d'autres cultures, ou encore dans des courants artistiques comme la transavanguardia ou d'autres, voisins, qui, tout en renonçant à l'expérimentation, travaillent par citation. Ce qui relie ces brocanteurs de la pensée, ce sont leurs proclamations sur la mort des avant-gardes, la demande d'une légitimation qui leur vienne de l'histoire, le renoncement, enfin, à se mesurer avec le champ de tensions auquel nous sommes confrontés.
La rupture à laquelle nous prêtons attention advient, précisément, par rapport aux grandes hypostases opposées auxquelles ont été réduites le Nouveau et l'Histoire. Cette rupture survient alors que ces récits, ces orthodoxies n'ont pas su concrétiser dans la pratique ce que, théoriquement, ils affirmaient vouloir réaliser. Rupture, donc, avec les grandes totalités dépourvues de pragmatique, les projets d'utopie.
Cette rupture à l'intérieur de la modernité prend aujourd'hui la forme d'une recherche qui interroge et se mesure jusqu'au bout avec le champ actuel des tensions. Une recherche qui privilégie l'idée, les conditions et les règles pratiques nécessaires pour construire maintenant un édifice, un territoire, mais aussi un concept, une image, un signe. Construire les formes et expressions adéquates au champ de forces dans lequel nous sommes immergés.
La notion du «construire» sans subordination à une orthodoxie, à un discours déjà codifié, mais en présence de matériaux qui vont de la mémoire à la matière, aujourd'hui, redevient centrale. Ceci conduit à assumer une position d'expérimentation, comme ce fut le cas des «avant-gardes» (politiques, philosophiques) de la modernité, pourrait-on dire. La situation a changé cependant: cette recherche doit se confronter, désormais, avec une société en voire de post-industrialisation, avec ses paradigmes et sa nouveauté.
Cette recherche et cette expérimentation se présente, pour nous, comme horizon possible de travail, comme le programme d'une revue.
© Faces, 1985