Journal d'Architecture
Réflexions sur le logement contemporain
Débat entre Michael Alder, Roger Diener, Meinrad Morger, Reiner Senn et Martin Steinmann
(fragment)
A la manière d'un slogan publicitaire, ces qualificatifs devraient suffire à eux seuls à caractériser les qualités du logement contemporain, comme si les enfants gâtés du bien-être avaient acquis naturellement ce droit-là, avec la sécurité de l'emploi, les vacances exotiques et la voiture (à la fois grande et petite, rapide et puissante, mais non polluante!). Comme si ces qualificatifs pouvaient être neutres et, de cette manière, autoriser la «neutralisation» du plan? Les réflexions émises lors du débat à propos de la typologie du logement contemporain, - débat dont cette livraison de FACES se fait l'écho -, révèlent la perplexité des architectes invités et la difficulté à cerner une problématique qui relève à la fois d'une production de masse et d'expériences pour lesquelles les avant-gardes du «mouvement moderne» ont proposé des modèles. Mais ces modèles seraient-ils aujourd'hui obsolètes?
«Bien situé»..., le débat d'ordre typologique n'évoquerait-il plus ce premier slogan si ce n'est au travers d'un constat: celui qui substitue la question idéologique de l'implantation (subordonnée aux présupposés typologiques - en bande ou en îlots -) à une adéquation entre typologie et espace urbain déterminé? Etant donné, cette fois, que n'importe qu'elle forme urbanistique serait, en soi, possible?
La production de masse du logement, aidée en cela par l'organisation de gabarits ordonnés par des plans de quartier, ne relève plus d'une problématique architecturale, mais elle répond platement à une norme quantitative. Là où un quota minimum par pièce permettait hier de gonfler le bénéfice spéculatif, il permet juste, aujourd'hui, de faire «tourner» le plan financier. Ce n'est pas à ce type de normes, mais bien à l'accroissement général du bien-être collectif, que l'on doit une augmentation de 12 m2 de surface de logement par habitant en Suisse, de 1960 à nos jours. Tant mieux! Même si, comme dans toute statistique, ces 12 m2 n'ont pas la même dimension pour chacun; ici, au gré de l'économie, l'on tend vers le second de nos qualificatifs du logement idéal, fût-il sans qualités: «grand».
L'économie du logement, ou plutôt le prix du loyer, reste la préoccupation essentielle qui, en filigrane, nuance les prises de position. Raisonnement: si l'habitant type n'existe plus, la conception du plan fonctionnel n'a plus de légitimité. On tend alors à une neutralisation du plan, à une équivalence des pièces sans affectation spécifique. Dès lors, celle-ci implique un accroissement de la surface moyenne du logement. En effet, les 4218 m2 indispensables à cette neutralisation du plan ne sont pas égaux aux 10 + 12 + 14 + 9 + 22 m2 de l'appartement fonctionnalisé et normalisé du XXe siècle, produit de l'évolution du logement ouvrier et, désormais, de celui de l'employé. S'ajoute à cette opération quantitative la valeur d'image du logement, où le séjour reste la pièce de représentation. Les 4 x 18 m2, une fois acquis, auront-ils plus de valeur intrinsèque que les 3 x 14 m2... + 30 m2? Ainsi, au-delà de chaque centimètre «qui compte» et qu'il faut gagner, c'est une réponse architecturale qui est à chaque fois proposée et donnée à juger comme telle, sans présupposé. - FACES ]
Martin Steinmann - Pour commencer, je souhaiterais délimiter le champ de notre débat à l'aide de quelques questions.
La première porte sur les différentes manières d'habiter un logement. Nous constatons que l'habitant type n'existe pas ou n'existe plus. Il existe différents modes de vie qui peuvent être considérés comme normaux, et par conséquent différentes manières d'habiter. Dans ces conditions, c'est une illusion de concevoir le plan, au sens du fonctionnalisme, en tant que «suite logique de fonctions», comme Le Corbusier a décrit l'habitat. Cette question ne vise pas seulement la différence entre la «famille» et la «communauté d'habitants», mais également la différence entre, par exemple, une famille suisse et une famille turque. Dans quelle mesure est-il possible de résoudre ces différences à l'aide d'une «neutralisation» du plan?
En procédant à une neutralisation, l'on nierait le développement du logement bourgeois au XIXe siècle et du logement ouvrier au XXe siècle. D'où de nouvelles questions: dans quelle mesure les normes de surface réglementaires s'inscrivent-elles, elles aussi, dans cette illusion? Ne devrions-nous pas y déroger lorsque nous ne sommes pas dans le cas d'un plan standard? Et encore: ne devrions-nous pas renoncer aux désignations habituelles des pièces: chambre des parents, des enfants..., et par conséquent aux différences de surface que cela implique?
Une autre classification à laquelle nous devons renoncer est celle entre zones de jour et de nuit. Les enfants passent une bonne partie de leur temps dans la chambre d'enfants... Dans quelle mesure les conceptions selon lesquelles nous concevons nos plans correspondent-elles encore à la réalité? Ne devrions-nous pas concevoir le corridor, par exemple, en dehors de la dualité espace-servant, espace-servi? Encore une dernière question que je souhaiterais poser: un logement ne sert-il qu'à l'habitation au sens étroit du terme, tel qu'il s'est cristallisé dans le logement bourgeois du XIXe siècle? Dans quelle mesure est-il possible d'intégrer certains types d'activités professionnelles dans le plan?
Je suis convaincu que nous découvrirons les réponses dans vos projets.
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© Faces, 1993