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Journal d'Architecture

N° 31 | Printemps 1994 | Design, un univers d'objets

Edito

Sommaire

Giairo Daghini
Design, un univers d'objets


L'objet design n'est pas une chose, il est avant tout une forme, chargée d'un statut de sens et de fonction.

Le terme «design» vient de la langue anglaise. Il est toujours accompagné de déterminations précises: 
industrial design, furniture design, graphic design, environmental design, fashion design... Dans ces différents domaines sémantiques, le design apparaît comme dessein, comme intentionnalité projectuelle dirigée sur la chose et, en même temps, comme dessin d'une forme qui sera ainsi réalisée. En ce sens, faire du design signifie soumettre à des procédures qu'on sait spécifiques à l'architecture, la conception et la construction d'un objet, ceci surtout dans le cadre d'une production industrielle et post-industrielle.

Un intérêt particulier pour les objets accompagne la montée de la modernité. Les planches de l'Encyclopédie, au XVIIIe siècle, composent un catalogue grandiose qui rend visible un univers d'objets. Que ce soient des ustensiles et des machines pour les activités ou des produits réalisés, qu'il s'agisse de corps organiques et inorganiques autour desquels un savoir s'exerce ou des instruments pour les connaître, un univers d'objets apparaît, représentés à la perfection dans le langage de l'architecture: plans, coupes, perspectives. Il ne s'agit pas encore d'une projection d'objets en tant que telle, mais d'un intérêt innovateur qui a pour but de représenter les choses selon leur forme et leur fonction, sans qu'il n'y ait plus aucune distinction hiérarchique de champs et d'activités.

En réalité, la constitution d'un univers d'objets au sens propre, qui avait commencé durant le XIXe siècle et s'était accentuée dans les différents Werkbund, aura son développement décisif à l'époque du Bauhaus. A ce moment également, l'objet reçoit son statut théorique.

Dans l'intentionnalité projectuelle du design, le fait marquant est l'assomption d'une fonction dans une forme. Une «bonne forme» sera celle qui est en condition d'exprimer, de faire percevoir, et donc de valoriser une fonction en tant que telle. Des critères de dépouillement, de rationalité, voire d'ascétisme sont affichés avec valeur de catégories qui doivent orienter l'élaboration de la forme. Dans ce cadre se dessine une tentative de construire un univers d'objets liés dans l'unité d'un ensemble rationnel. Ceci constitue un saut décisif par rapport au statut précédent des objets, qui demeuraient liés à leur identité particulière, comme les métiers de l'artisanat l'étaient par rapport au travail abstrait de l'industrie. Ainsi la synthèse du beau avec l'utile, de l'art avec la technique, de la forme avec la fonction est-elle poursuivie dans le but de réaliser une esthétique du quotidien. Par ce fait même, cet univers d'objets exprime son système de fonctions à l'intérieur d'un ordre de forme et de qualité sensibles et accède à une dimension esthétique.

Le design industriel, selon son caractère fonctionnel-expressif, devra se confronter avec le réalisme productif de l'industrie, qui demande et impose du «styling» pour des raisons de marché. Le mauvais goût du public, le «kitsch», constitue l'autre terme de cette confrontation. La revendication d'une pratique projectuelle liée au réalisme productif, mais non subordonnée à celui-ci, décidera, là où elle n'est pas velléitaire, de la question de l'éthique du design.

La campagne lancée par le Bauhaus, et poursuivie par d'autres, contre le kitsch et le styling a été vaine sous plusieurs aspects, car l'un et l'autre reviennent continuellement. Dans les générations d'objets industriels qui se succèdent, le design expressif d'une fonction cède le pas à une sémiographie généralisée, où l'objet est considéré toujours plus comme un signe porteur de messages différents de ceux liés à la forme de son usage. L'aspect connotatif de l'objet qui s'exhibe lui-même au travers des signes inhérents à la mode, au statut social, au marché, prend le pas sur l'aspect dénotatif, expression de la fonction en tant que sujet. Le langage de la marchandise s'affirme pleinement dans cette sémiotique de la réalisation technique à travers laquelle les objets se proposent et créent les conditions psychologiques de leur acquisition, ceci par-delà leur valeur d'usage.

Les sociétés du moderne post-industriel sont encerclées par une myriade d'objets qui font signe, qui demandent d'être perçus comme des signes. L'encombrement spatial et la pollution visuelle de nos intérieurs et de nos extérieurs montre cet état des choses et pose le problème de savoir comment et quoi rendre visible.

Les générations d'objets issus du design industriel qui décorent l'environnement au quotidien succèdent les unes aux autres. Par où recommencer dans une situation où toutes les parties semblent jouées? Du point de vue du projet, comme de celui du public, il paraît inévitable de s'interroger à nouveau sur le sens, sur les modes et sur les possibilités d'utilisation de l'immense étendue d'objets qui nous entourent, ainsi que sur notre rapport symbolique avec eux. Il faut prêter attention, également, à la valeur expressive de leur qualité sensible, au rapport gestuel induit par les formes des objets et à leur «belle utilisation».

Il faudra s'interroger enfin sur les nouvelles formes de production non standard des objets, où, et notamment dans les systèmes de conception et de fabrication assistées par ordinateur, l'objet produit ne reproduit plus, nécessairement, un modèle d'imitation, un prototype pour une série, mais où il actualise un modèle de simulation qui propose l'actuation sans fin d'objets singuliers pour des utilisations singulières.



© Faces, 1994