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Journal d'Architecture

N° 53 | Hiver 2003-2004 | Exposer l'architecture

Edito

Sommaire

Elena Cogato Lanza
Exposer l'architecture

Une question d'images

Au cours de ces dernières années, j’ai fait deux fois la même expérience. Quelques jours après avoir visité une exposition d’architecture, j’ai eu l’envie un peu angoissée de m’y rendre à nouveau, avant que le dispositif, forcément caduc, soit démonté une fois pour toutes. Mon premier réflexe allait à l’encontre de l’effet pédagogique que l’on attend naïvement d’une exposition d’architecture : celui d’éveiller l’envie de découvrir in situ, en chair et en os, les architectures exposées. Au sens étymologique, en effet, ex-poser signifie « sortir de » et disposer, de manière à le mettre en vue, un objet qui était auparavant rangé, enfermé, occulté. Dans le domaine qui nous occupe, cela consiste à ex-poser ici une architecture qui, matériellement, se trouverait ailleurs. Mais, lorsque l’exposition d'architecture ne pousse pas à aller voir l'ailleurs, ce qui est en jeu se trouve ici, dans l’exposition elle-même. Les deux expositions auxquelles je me réfère ont eu un succès public considérable. Dans la salle voûtée de la basilique de Palladio à Vicence, immergée dans l’obscurité, des cylindres lumineux en tulle blanc, pendus au plafond et se déroulant jusqu’au sol comme des colonnes, monumentales et évanescentes à la fois, constituaient la scénographie de l’exposition des travaux de Toyo Ito. Dans chaque colonne était présenté – ou caché ? – un projet, sous la forme d’une maquette conceptuelle en plexiglas, d’une bande sonore, d’un travelling vidéo, d’une séquence d’images fixes ou d’une simulation par ordinateur. Au Centre Pompidou à Paris, les perspectives digitales des projets et des réalisations de l’agence de Jean Nouvel, tirées en très grand format, bénéficiaient d’un éclairage proche de celui des chambres du trésor des familles royales : dans l’obscurité générale des salles, la lumière semble émaner des pièces exposées elles-mêmes. Le même effet était atteint avec le diaporama, où les projections de vues intérieures et extérieures des réalisations, qui couvraient toute la hauteur de trois parois d’une salle, provoquaient des sauts d’échelle très suggestifs.
À ma connaissance, la critique architecturale ne s’est pas interrogée sur la profonde affinité entre les deux expositions, qui voient les deux architectes dans les rôles à la fois des curateurs et des scénographes. Dans les deux cas, on évite volontairement de faire de l’exposition l’ex-position d’une œuvre (le projet) ou d’un ouvrage (la réalisation) : l’espace et le temps de l’ailleurs ne sont pas évoqués ici. En ce qui concerne l’espace, aucune représentation utile du site ne nous est fournie (Nouvel se limite à signaler le nom de la ville et à indiquer l’emplacement de cette dernière dans le pays ou le continent d’origine à l’aide d’un simple schéma). Quant au temps, les documents présentés ne sont pas situés dans le processus de conception, comme une certaine tradition des expositions d’architecture continue de le faire. Cette dernière, en recréant la fabrique de l’architecture, veut rendre accessible au visiteur le point de vue du concepteur (manière de dire que ce dernier bénéficie d’un point de vue auquel correspondrait un niveau de vérité supérieur aux autres). Que, face au sens étymologique d’ex-poser, quelques protagonistes coupent sciemment les repères qui permettent de faire le lien entre l’ici et l’ailleurs dans le sens de la continuité ; qu’ils n’adoptent pas une démarche illustrative ; qu’ils ne voient pas même une seconde l’intérêt de reproduire en miniature, ou au moyen d’une réduction, des architectures dont le sens et les raisons s’accompliraient ailleurs : tout cela est encore suffisamment rare pour être relevé.
Grâce aussi à la reconnaissance professionnelle sinon artistique dont ils jouissent, Ito et Nouvel se permettent de se passer des garde-fous du site et du processus de conception et de créer les conditions d’une expérience unique, qui ne pourrait avoir lieu autrement. Leur poétique les y emmène presque naturellement : théoriser et concevoir des architectures à l’apparence évolutive, destinées à se soumettre aux conditions météorologiques et atmosphériques, et considérer que la vision floue et partielle est la condition normale de leur perception, tout cela amène à considérer l’exposition comme l’une des innombrables occasions d’émergence d’une image, contextuelle et fugace, de ces architectures. Favorisée par une sorte d’apnée dans le noir, l’exposition est dès lors le lieu d’une rencontre unique entre le visiteur et des images – ou, fondamentalement, entre le visiteur et l’image. Le terme d’image est à entendre ici au sens de Jean-Luc Nancy (voir son Au fond des images, 2003). Pour le philosophe, l’image est « le distinct » : « Le distinct se tient à l’écart du monde des choses en tant que monde de la disponibilité. Dans ce monde, les choses sont disponibles tout à la fois pour l’usage et selon leur manifestation. Ce qui se retire de ce monde n’est d’aucun usage, ou bien d’un tout autre usage. » L’image n’est donc pas là à la place de la chose, mais « il lui faut être détachée, mise en dehors devant les yeux […] et il lui faut être différente de la chose ».
Ito nous éloigne du monde de la disponibilité et nous amène à appréhender et expérimenter différemment ses architectures. De façon ironique, il met en scène le processus qui, chez le visiteur, le conduit à l’image : c’est un chemin un peu inconfortable, car il faut traverser le tulle avec le regard ; profiter des fissures qui sont toujours un peu trop hautes (monter sur la pointe des pieds) ou trop basses (se plier) ; essayer de recomposer mentalement les vues partielles qu’on a en tournant autour des cylindres. Quant à Nouvel, il nous livre des images où il réinvente la notion de réalisme : il s’agit souvent de vues digitales qui anticipent la réalisation mais que l’on prendrait par des photographies ; suffisamment précises, et pourtant savamment floues. Les images des expositions d’Ito et de Nouvel nous permettent de reconnaître leurs architectures comme s’il s’agissait de portraits. Ce sont encore les mots de Jean-Luc Nancy que nous empruntons pour jeter une lumière sur la nature de ces images. « Portrait », nous rappelle-t-il dérive étymologiquement de « tirer » : « Toute image relève du portrait, non pas en ce qu’elle reproduirait les traits d’une personne, mais en ce qu’elle tire […] en ce qu’elle extrait quelque chose, une intimité, une force. Et, pour l’extraire, elle […] la distingue, la détache et elle la jette en avant. » Si l’image est vraiment autre par rapport à la chose, elle est aussi identique. Elle est le distinct (elle n’est ni la chose ni l’imitation de la chose) et, en tant que portrait, elle est « la ressemblance de la chose ». Par l’image nous accédons ici à un monde parallèle, le monde de la ressemblance, « un monde où nous entrons tout en restant devant lui, et qui s’offre ainsi pleinement pour tout ce qu’il est, un monde, c’est-à-dire une totalité indéfinie de sens ».

Du fait architectural

Dans le présent dossier, et selon différentes trajectoires théoriques, les auteurs thématisent l’acte d’exposer comme l’instauration d’une discontinuité, d’un passage. Personnel-lement, en en faisant une question d’image, je considère que la mise en place des conditions d’une visibilité nouvelle et différente participe à la production du fait architectural à part entière. D’une part, l’architecte sait que, au moment de la conception, un même concept pourrait donner lieu à des développements pluriels, qui ne se recoupent pas, et, ainsi, à des architectures différentes. D’autre part, l’architecture construite est elle-même porteuse de possibilités, suscitées par ses modes d’occupation, ses usages, les transformations du contexte environnant, les modifications de la matière, les modifications de notre regard… qui vont bien au-delà de ce que l’architecte pouvait pressentir. C’est pourquoi nous préférons le terme de fait architectural à celui d’architecture. Ce fait, qui est constamment en mouvement entre le projet, la réalisation, les pratiques et les représentations, ressemble à un mikado : son état est proche de celui pris par ces bâtonnets colorés qu’on laisse tomber aléatoirement sur une surface ; une couche faite d’innombrables trajectoires qui, dans le fait architectural, amènent du possible au réel et vice versa. La maîtrise de ces trajectoires n’appartient à personne, pas même à l’architecte (pour cela, retracer le parcours de la conception de l’architecte, dans une exposition, a quelque chose d’un peu kitsch : c’est la représentation d’une illusion qui voudrait se pétrifier une fois pour toutes). L’exposition comme production d’une image participe à la multiplication de ces trajectoires, explore un de ces chemins entre le réel et le possible. Comme dit Jean-Luc Nancy, « plus que de la représentation, c’est de la présentation ». Acteur indispensable de cette présentation, le spectateur participe à l’avènement d’un sens en devenir, d’un parmi les sens multiples et irréductibles d’un fait architectural.
On aura compris qu’avec le terme d’« exposer » je ne me réfère pas à un genre et à un contexte de représentation, mais à une structure de connaissance du fait architectural. On expose bien au-delà du musée ou de la galerie – c’est à dire d’un espace ad hoc : il y a exposition dès lors qu’on introduit cette oscillation de l’image, qui identifie et déplace constamment la frontière entre le réel et le virtuel, l’expérience et le possible. Les notes qui suivent prendront en considération deux contextes extrêmes de cette oscillation : lorsqu’on est dans le réel, et on expose alors l’architecture dans l’architecture elle-même, in situ ; lorsqu’on est dans le virtuel, on expose des images qui n’ont pas (encore) ou n’auront jamais de référent bâti.

Exposer l’architecture dans l’architecture

Dans sa contribution, P. Uyttenhove se réfère explicitement au déploiement d’une dimension virtuelle dans les expositions d’architecture grandeur réelle, comme celle du Weissenhof à Stuttgart. Il y détecte une sorte de dématérialisation de la chose, qui, renvoyant à elle-même et à ce qu’elle représente, devient reflet d’une image virtuelle. Lors-qu’elle prend place dans la ville, l’exposition in situ implique un dédoublement autre que celui de l’objet : le dédoublement de l’habitant-spectateur. Le cas du Musée de l’architecture moderne à Ivrea, traité également dans ce dossier, présente d’une manière exemplaire la structure cognitive d’une exposition fondée sur la multiplication des identités des choses et des individus. Dans l’environnement urbain quotidien, sans distinction et sans qualité, le musée consiste en un parcours qui, tout en reliant entre elles les architectures de l’ancienne Ivrea, les isole et les dé-contextualise de la ville actuelle. L’habitant se trouve projeté dans le rôle du spectateur, pour qui Ivrea n’est plus un pays mais devient un paysage : les relations d’intérêt et d’efficacité qui animent les tactiques quotidiennes de l’habiter sont suspendues et les composantes du pays sont disponibles pour un tout autre usage, induit par la mise à distance, et deviennent objet de contemplation. Jean-Luc Nancy nous aide encore, en faisant coïncider les concepts de paysage et dépaysement ; ainsi à Ivrea, où des pièces de la ville s’exposent comme autant d’objets d’exception, tandis que la ville elle-même affiche (au moins) une double lecture, voire un double registre de sens, dans une dérive programmée.
Un petit détour peut nous aider à creuser davantage l’essence de ces pratiques d’exposition. Face à l’omniprésence de la vidéo dans les galeries et les expositions d’art contemporain, le critique Dominique Païni formule l’interrogation suivante : « Pourquoi expose-t-on le cinéma alors que des salles sont conçues à cet effet ? » Nous pourrons dès lors lui faire écho : « Pourquoi exposer l’architecture dans la ville, alors que les architectures font la ville ? » La réponse de Païni nous fournit des suggestions stimulantes. Selon lui, exposer le cinéma revient à l’élargir – cela grâce à la multiplication des écrans, combinés ou synchronisés, et à la mobilité du visiteur-spectateur, qui peut se rapprocher des images jusqu’à les toucher (de la visibilité à la tangibilité) et combiner ses travellings en avant et en arrière avec les mouvements internes de l’image projetée. L’abandon du dispositif théâtral propre au cinéma, dans lequel le spectateur est obligé de rester devant les images, se réalise au profit d’une entrée dans les images au sens de leur traversée. La relation aux images en mouvement du cinéma, qui amène normalement le spectateur à se confondre avec l’existence fictionnelle des personnages et à adhérer à la dimension temporelle de la narration, est dès lors compliquée par une situation, celle de la traversée, « dont l’enjeu serait en définitive d’échapper à la fiction tout en la percevant comme présente, objectivée, en quelque sorte exposée justement ». À l’inverse du public-foule, visé par le cinéma au cinéma, le cinéma exposé s’adresse à un spectateur primitif, celui qui, dans les expositions universelles du début du siècle, n’avait pas de place immobile et qui aujourd’hui, au musée, peut contrarier le flux de la narration par sa flânerie aléatoire.
Si nous transposons cette réflexion à l’exposition de l’architecture dans l’architecture, nous observons également un élargissement, dû à l’absence de position privilégiée, de temporalité univoque ou de narration exclusive : le décollage et la multiplication des usages et des pratiques de l’espace bâti élargissent l’architecture, en faisant cohabiter lisibilités et visibilités diverses. L’inévitable décomposition du paysage urbain en sous-éléments invite l’habitant-spectateur à opérer une traversée individuelle et subjective, qui entrerait en dialogue avec le fil proposé par la mise en exposition. Cette dernière peut d’ailleurs effleurer la célébration, comme à Ivrea ; il est vrai en effet que l’exposition de l’architecture dans la ville, plus même qu’au musée, vise à isoler ce qui relève du domaine propre de l’architecture – au risque d’apparaître quasiment normative. C’est en partie le cas de la ville de Mantoue avec son nouvel éclairage, authentique exemple d’exposition de l’architecture qui recourt à l’équipement technique usuel de la ville pour favoriser une lecture d’exception et fixer une valeur patrimoniale. Le Parcours des Gonzagues met littéralement en lumière un ensemble architectural unique, en valorise les qualités chromatiques naturelles et permet de lire son inscription dans la ville ; en même temps, en concentrant la lumière sur les volumes bâtis et en en évitant la dispersion ambiante, il permet de retrouver une « nuit noire ». Or l’intermittence du dispositif (qui alterne une certaine visibilité de la ville la nuit avec celle du jour) et son caractère léger et non matériel (il s’agit de lumière, c’est-à-dire de la source même de l’image !) évitent la dérive de l’aveuglement patrimonial et permetent à la ville de s’ouvrir à une pluralité de lectures réversibles et, en d’autres termes, d’être traversée.

Entre réel et virtuel

Techniquement, une image virtuelle est une image digitale. Étymologiquement, c’est l’image d’une possibilité, d’un objet, d’un événement, d’un processus ou d’un espace possibles. De cette possibilité, paradoxalement, nous faisons une expérience. On pourrait dire que nous pouvons habiter cet espace possible. Nous aurons le désir de le fréquenter à nouveau, seuls ou avec d’autres, ou de ne plus jamais y retourner (toute image, virtuelle ou non, est une image-désir). Tout cela nous paraît évident lorsque nous pensons au cinéma et à ses images en mouvement. Dans le cas de l’espace architectural, en revanche, un réflexe de suspicion s’instaure très vite ; la diabolisation des images dénoncée par Jean-Luc Nancy est, dit-il, « une vieille histoire de l’Occident : méfiance pour les apparences, les reflets, les idoles, confiance dans le logos, le verbe, le sérieux ». Mais contre un moralisme banal et irréfléchi, il vaut mieux essayer de s’équiper conceptuellement et méthodologiquement.
Le fait que l’exposition soit le contexte d’une expérience unique du « distinct », du franchissement de l’image à la chose et vice versa, a bien été démontré par le collectif réuni par Simon Lamunière, curateur et artiste, autour de la notion d’« image habitable ». Les « versions multiples » qui ont constitué l’exposition organisée à Genève au Centre pour l’image contemporaine, entre 2002 et 2003, ont eu pour but d’interroger l’espace architectural, en partant de l’hypothèse qu’il y a toujours brouillage entre espace réel et espace représenté, au niveau de nos perceptions et de nos représentations mentales. Les dispositifs mis en œuvre – photographies, maquettes, dessins et vidéo – reposent sur notre aptitude à nous projeter dans une fiction. Cette fiction peut avoir un référent autre (projets d’architecture de Décosterd et Rahm, François Roche, Diller et Scofidio), elle peut ne pas avoir de référent (la banlieue imaginaire de Sprawlville de Sven Påhlsson ou le paysage du Forum Hôtel de Zilla Leuteneger) ou encore elle peut mettre explicitement en place un espace à expérimenter (la projection de Hiroyuki Futai, Virtual House, qui modifie la géométrie de l’espace où nous nous trouvons, y inscrit une narration et évoque le caractère sensible de matières sommairement représentées, tel le sable). C’est sans doute à partir de l’art contemporain, et plus particulièrement de la vidéo, qu’ont été portées dans l’architecture les réflexions les plus approfondies sur les manières dont nous pouvons nous projeter dans les images et faire l’expérience d’un espace architectural.
Mille suggestions nous viennent à l’esprit sur ce sujet, qui est central en matière non seulement d’exposition d’architecture mais aussi de représentation du projet architectural. Commençons par cette dernière : dans le rapport architecte-client–destinataire, le désir – d’occuper l’espace projeté, de l’habiter, d’y passer du temps – est suscité par la représentation, qui devient le support d’une promesse. Le danger, c’est la déception : cela arrive lorsque, face à la réalisation, nous (les destinataires) ne reconnaissons plus cet espace désiré. Nous nous sommes trompés… C’est la représentation qui nous a trompés… Cela est dit d’une manière caricaturale, mais le problème est de taille, et la volonté de le résoudre a pu souvent pousser la représentation du côté de la simulation : mettre en place un environnement visuel ou plastique qui nous donne la parfaite illusion de nous trouver véritablement dans l’espace réalisé. C’est ce qui se fait dans nombre d’expositions d’architecture : dispositifs optiques qui permettent d’explorer de l’intérieur des maquettes, juste à la hauteur de l’œil humain et au rythme d’une promenade ou reconstructions d’intérieurs à traverser à l’aide d’un ordinateur et d’un joystick.
Les expositions de L’image habitable ont critiqué vigoureusement cet imaginaire de la simulation. Pour se projeter dans une image, il faut consommer le divorce entre l’ici de l’image et l’ailleurs de la chose représentée. Les limites physiques de l’image (le périmètre de l’écran de projection) doivent être montrées, car elles sont aussi les limites de la fiction ; la hauteur de l’horizon et la vitesse de déplacement mises en place dans la représentation doivent être décalées par rapport à celles de l’expérience courante d’espaces réels (choisir plutôt la vision plongeante ou au ras du sol, par exemple, et l’exploration en ralenti ou en accéléré) ; la fiction doit relever de la narration et non de la simple séquence, et cette narration se développer en boucle. Nous nous projetons dans une image lorsque, dans la mise en place de cette dernière, on ne vise pas la simulation, mais l’on accepte le défi de la ressemblance ; lorsque, pour citer Jean-Luc Nancy une dernière fois, l’image « instaure simultanément le retrait et un passage, […] l’essence de tel franchissement tient à ce qu’il n’établit pas de continuité, il ne supprime pas la distinction. Il la maintient tout en faisant contact : choc, confrontation, tête-à-tête ou étreinte ». Face à l’image, qui oscille constamment entre réel et virtuel, le spectateur doit se mettre lui aussi en état de schizophrénie, pour entrer dans l’image en état de veille, les pieds bien posés sur terre.

© Faces, 2003