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Journal d'Architecture

N° 57 | Hiver 2004-2005 | Hospitalité

Edito

Sommaire

Cyrille Simonnet
Hospitalité


L’architecture (y compris les prisons) est-elle hospitalière ? Hospitalière par nécessité, si tant est qu’elle accueille, protège, préserve... Et par défaut, car tout usager est hôte des lieux qui font de lui un usager. Tel serait donc le programme implicite de toute construction: pouvoir y accueillir ses hôtes dans les meilleures conditions possibles. C’est un peu la version archaïque et idéalisée de l’usage. Quoi que vous ayez à faire, pour peu qu’un abri soit recommandé ainsi que quelque commodité, vous aspirez à trouver une bonne maison, accueillante, agréable, saine.


Tout un programme. En quoi cependant ce terme d´hospitalité peut-il susciter aujourd’hui notre intérêt ? Quelle réflexion, quelles questions cette notion peut-elle provoquer, ainsi inscrite dans le cadre somme toute formel d’un magasine d’architecture ? Notre précédent dossier s’intitulait : “Hostilité”. Il y a donc bien un fil rouge dans nos préoccupations. Avec “Hospitalité”, nous aimerions alors montrer en quoi certaines situations domiciliaires ou urbaines, particulièrement exigeantes à l’égard de la problématique de l’accueil, touchent en plein cœur la signification intime de la conception architecturale. C’est au fond une nouvelle mise à l’épreuve de l’objet architectural. Epreuve non pas visuelle ou fonctionnelle, mais épreuve... humaine. Soyons ambitieux. Fondamentalement, l’hospitalité est un rite. D’Homère à Kafka, le poète, l’écrivain ne cessent de le mettre en scène. Or cette scène, précisément, se crée, se construit, s’équipe même. Cela s’appelle l’habitat, ou plus généralement l’établissement humain. Ainsi, quand nous parlons d’architecture, dans le mille feuilles de significations que recouvre le terme, il y en aura toujours une qui donnera ce goût subtil et difficilement synthétisable de l’hospitalité.


Dans ce numéro, nous ouvrons trois portes. Trois portes, trois espoirs d’accueil qui touchent la fibre extrême de notre humanité (notre façon d’être humain). La porte de l’hôpital, la porte de l’hospice, la porte du domicile... disparu. Expliquons-nous rapidement. Quand le corps ne répond plus, ne fonctionne plus, il cherche un bon atelier de réparation, qui s’appelle généralement Hôpital. Cela suffit-il à en faire un lieu hospitalier ? Pas sûr. Tout un périmètre de sympathie et d’intimidation cerne la zone hospitalière, qu’il nous semble opportun d’interroger. C’est le principal volet de ce dossier. Second volet : notre corps, plus exactement notre personne, inexorablement, vieillit, littéralement touche à sa fin. Avant de devenir déchet biologique, qu’en faisons-nous ? La vieillesse, et son incubateur démographique, le vieillissement, bousculent dramatiquement notre idéal de jouissance et d’indépendance. L’hospice, l’EMS en Suisse (“Etablissement Médical Socialisé”) constitue à bien des égards le point final de l’hospitalité. Qu’en est-il réellement ? Troisième volet enfin, le plus difficile certainement, celui de la perte du domicile. Quelle hospitalité espérer quand les circonstances - guerre, catastrophe, expulsion... - vous jettent à terre ou à la rue, en dehors de toute privacité, de toute intimité ? Le terme désormais convenu d’urgence cristallise (et stigmatise) ces situations sans autre avenir que la survie. Nous voulons discerner l’atome d´hospitalité que recèlent de telles tragédies.

© Faces, 2004