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Journal d'Architecture

N° 60 | Automne 2005 | Énergie

Edito

Sommaire

Cyrille Simonnet
Trou d'air


Le concept d’énergie a un long pedigree scientifique et technique, et même : géopolitique. Depuis deux ou trois décennies il a investi le domaine architectural et urbain, pour des raisons essentiellement économiques. Énergie est arrivé en 1973 affublé du terme « économie d’- », instaurant de ce fait une sorte de malentendu inaugural : le bâtiment est fatalement consommateur, dispendieux, et dilapide le précieux capital que l’homme a eu tant de peine à dominer, puis à produire, enfin… à gaspiller.

Aujourd’hui, comme un spectre, un nouveau gendarme se dresse, menaçant et culpabilisant : Environnement. L’énergie s’est précipitée dans le champ magnétique et sémantique de cette bannière. Car qui dit énergie n’est pas loin de penser gaspillage. Entendez : vous vous chauffez, c’est bien, vous vous lavez, vous cuisinez, vous vous déplacez, vous travaillez, vous consommez… mais ce faisant, vous brûlez le trousseau, et en prime, vous saccagez la planète.

Comment l’énergie insuffle-t-elle son concept dans l’idée (et la pratique) contemporaine de l’architecture ? Depuis l’origine, l’architecture, comme on sait, nous abrite. En cela, elle constitue un authentique confinement climatique. Construction, combustion : plus que jamais, semble-t-il, ce couple aujourd’hui nous interpelle. Combien de millions partent en fumée ? Georges Bataille rappelait naguère notre fatale inclination à la consomption. Ce désir atavique de brûler, de détruire. La Part maudite est destinée au bûcher. La dépense improductive, telle qu’il la caractérisait, serait une espèce de nécessité inscrite dans la nature des civilisations, voire dans la Nature elle-même, le soleil ne faisant rien d’autre que consumer ce qui touche ses rayons…

Voilà donc le grand paradoxe de l’énergie : de pouvoir inscrire le fait constructif, avec tout ce qu’il recèle de permanence et de stabilité, dans la spirale de la désintégration, de la déchéance. Pour bâtir, il faut détruire. Pour survivre, il faut brûler. Bien entendu, tout cela se contrôle, s’équilibre. Rien ne se perd, rien ne se crée. Mais tout se transforme, et dans ce brassage, il semble que l’homme y perde sinon des plumes, au moins un peu d’orgueil. On s’alarme, on ne s’affole pas pour autant, mais on se fait humble devant cette Nature qui a l’air de reprendre le dessus. Humilité calculée, négociée, humilité légiférante, tout un discours nous rappelle notre petite taille face aux Eléments. Mais plus que jamais, l’encombrant physique de notre civilisation moderne nous sollicite. Le cadre bâti, notre cadre de vie, accumule déjà une immense mémoire laborieuse. Il touche aux confins de la planète, et pour se maintenir ou se répandre encore, il exige toujours plus. On puise jusqu’à épuiser nos réserves, on invente de nouveaux combustibles, on capte toutes les énergies imaginables, mais il en manque toujours. On voudrait dompter le climat, domestiquer les tempêtes, apprivoiser le soleil !

Energie couve un potentiel bouillant, thermodynamique. Que s’y frotte l’architecture ou la ville, et c’est un chapelet d’étincelles qui jaillissent. Plus de forme, plus de matière, que des rayons ! Nous ouvrons ce dossier dans un esprit qui ne prétend ni à la science, ni à l’économie, ni à l’art. Les auteurs sollicités n’ont que ces lignes pour caler leur argument. Et cette information : l’Institut d’architecture de l’Université de Genève (d’où, rappelons-le, émane cette revue) se convertit en Faculté des sciences de l’environnement et du développement durable. Tremplin ? Purgatoire ? Airbag ? Nous n’avons plus guère d’idéologies… Des opinions, oui, et de l’énergie bien sûr !