Journal d'Architecture
Cyrille Simonnet
Helvetica
Helvetica est le nom d’une police de caractère créée en 1960 par le graphiste suisse Max Miedinger. Le mot sonne tellement bien qu’il semble faire partie du patrimoine depuis des siècles, ceux où l’on parlait encore latin. Assez naturellement, « Helvétique », titre présenti du présent dossier, est devenu « Helvetica », pour des raisons, avouons-le, de pure esthétique acoustique. Cependant, dans le glissement opéré sur le substantif « helvétique », dans le mouvement de sa (douteuse) relatinisation (Helvetia est le terme original), quelque chose se produit au niveau de l’image sonore du concept. Concept est certes un mot un peu fort, mais c’est un peu comme ça que naissent les idées, quand une constellation d’images, de métaphores, s’échappe d’un vocable énoncé, lors d’une réunion de rédaction, dans le tourbillon d’un brainstorming. Lequel était consacré, précisément, à la spécification d’un titre, d’un terme susceptible de ramasser d’un coup la multitude de sentiments, de représentations qui nous venaient à l’esprit pour caractériser l’architecture de ce numéro spécial.
Il y avait eu Lémanique, numéro de FACES du printemps 2004, qui posait la question de ce que l’on pourrait appeler une identité régionale. Il y aurait donc Helvétique, pour retourner sur la même problématique : qu’est-ce qui fait que telle ou telle architecture – celle qui fait l’objet, pour être publiée, d’une distinction particulière (objet d’un choix certes un peu arbitraire, mais quand même), – présente ce trait particulier qui la rend plus suisse, plus helvète qu’ailleurs ? C’est ainsi la question de la suissitude, de l’helvétitude de l’architecture, à travers quelques réalisations récentes et peu publiées, qui se trouve posée ici même. Les mêmes caractéristiques, un peu éculées certes, d’une architecture bien construite, sobre, retenue, bien posée dans un paysage ou dans un contexte remarquables, reviennent régulièrement. Mais est-ce suffisant ? Comme la fonte Helvetica, qui est un peu à la police de caractère ce que la ligne claire est à la bande dessinée, l’architecture suisse « de qualité », dans sa production néanmoins standard, moyenne et statistique, exprime (la plupart du temps) quelque chose d’immédiatement lisible et de compréhensible, eu égard aux traits qui la caractérisent et la rendent visible. C’est peut-être aller un peu vite en besogne que d’affirmer cela. Pourtant, l’excellente presse internationale dont bénéficie la production architecturale suisse n’est pas un fait de hasard ou de mode. Il y a bien quelque chose, qui relève à la fois du visible (géométrie, spatialité, construction, matériau…) et du moins visible (détails, assemblages, situation, positionnement…). Mais il y a encore plus, du moins le pense-t-on. En quoi consiste donc ce plus ? Pour apporter un début de réponse, nous avons demandé à quelques personnalités non suisses, mais ayant eu des rapports professionnels avec la Suisse (dans l’enseignement notamment), de s’exprimer sur ce sujet. Herman Hertzberger (Amsterdam, récipiendaire d’un titre de Doctor Honoris Causa de l’Université de Genève), Esteban Bonell (Barcelone, professeur à Mendrisio et ancien professeur à Lausanne), et Henri Bresler (Paris, professeur de projet à l’Institut d’architecture de Genève) prennent la plume ou répondent à nos questions. Ils disent précisément ce qui en architecture, fait la Suisse. Par ailleurs, en contrepoint d’un parcours en fin de compte très minéral, les pages de ce numéro sont traversées par une série de vues que l’on qualifiera de paysagères. Il s’agit de la Suisse vue depuis l’autoroute, photographiée par Nicolas Faure, auteur d’un livre récent précisément consacré à ce thème. Voici donc doublement cadré ce florilège : par des vues et des points de vue. Cela constitue un cadrage que l’on espère cohérent, sollicitant l’œil et la raison, dans l’esprit originel de ce magazine, conçu rappelons-le à l’origine comme un journal d’architecture, appelant cette attention à la fois curieuse et distraite qui caractérise le feuilletage d’un quotidien. Bref, la quinzaine de projets présentés et commentés dans ce numéro intitulé Helvetica vise cet objectif que notre rédaction souhaiterait répéter annuellement : repérer quelques objets significatifs, comme l’on dit, les mettre en perspective selon une incidence qui restitue en plus de leur singularité quelque chose comme leur familiarité. Voilà établi leur nom de famille en quelque sorte : Helvetica.