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Journal d'Architecture

N° 65 | Hiver 2007-2008 | Réinventer Genève

Edito

Sommaire

Bruno H. Vayssière
Réinventer Genève


Ce numéro est quelque peu spécial à double titre. Il est tout d’abord le premier à avoir été enfanté en dehors du giron direct de l’Institut d’architecture de l’Université de Genève, et pour cause : l’Institut qui avait porté FACES depuis sa naissance est dorénavant fermé. C’est donc un nouveau groupement genevois d’intérêts profondément attaché à cette revue de qualité qui va la porter, au delà du premier cercle des mille abonnés (un record !). Autour de la Fondation Braillard Architectes, nous avons pu réunir la Maison de l’architecture (encore virtuelle, certes, mais forte du réseau de soutien de toutes les principales organisations professionnelles) et, last but not least, espérons-le, le nouvel Institut des sciences de l’environnement (qui inspirera directement les numéros autour de l’environnement et du développement durable)…

Le thème principal de ce numéro, pour faire court : « Débloquer Genève », n’a rien d’une plaisanterie. Nous avons ici l’une des villes les plus gâtées du monde par le montant des investissements privés qui sommeillent dans ses coffres (certes, les deniers publics sont eux largement tributaires de l’emprunt à force d’avoir été soumis à une politique dispendieuse de manière plus bassement démagogique qu’efficace). Or, depuis un quart de siècle, l’immobilisme urbain quasi absolu qui a prévalu nous inquiète tous énormément. Non seulement le record du monde en matière de pénurie de logements n’amuse personne, mais encore, au sein de la compétition mondiale, le rang de l’attractivité de « la plus petite grande ville du monde » ne cesse de reculer : selon La Tribune de Genève du 9 octobre 2007, il ne suffit pas de passer de la vingtième à la douzième place européenne en détrônant Zurich (ex-dixième) d’une courte tête dans le classement du bureau de conseil immobilier londonien Cushman & Wakefield (tiens ! Londres est en tête, tout comme Zurich, si c’est Mercer, son concurrent zurichois qui fait le même classement : n’insistons donc pas sur ces pseudo-ranking dans lesquels juge et partie se confondent souvent !) ; au finish, c’est surtout un problème de taille critique minimale trop en dessous de celle des villes concurrentes qui nous pénalise, mais ne nous leurrons plus en prétendant, avec cette suffisance du bout du lac, bien connue, que nous allons rester sempiternellement les meilleurs.

Donc, et ce ne sera pas le dernier, croyez-le, ce numéro va passer en revue, au tamis de la critique vertueuse, l’avenir de Genève avec les douze projets en cours. Nous n’avons pas voulu, ici, nous appesantir sur les mécaniques profondes de nos blocages, même si cela mériterait plus que réflexion, surtout pour déverrouiller les raideurs a priori. Mais la fenêtre ouverte en 2008, notamment à travers le projet Praille-Acacias-Vernet, donne essentiellement envie de pousser enfin le maximum de tous ces projets vers un futur qui, souhaitons-le, ne pourra qu’être radieux en regard du désert de la génération précédente. Et puis, disons que la rigueur d’une histoire économique, politique et sociale de ces blocages récurrents depuis 1980 relève plus de l’ouvrage académique (sous toit au sein de la FBA). Une revue d’architecture et d’urbanisme, quant à elle, doit tout d’abord stimuler nos appétits de projets : premier message, après ces lustres de frilosité absolue, espérons que cette fois nous serons gâtés, que de nombreux chantiers vont éclore simultanément en encourageant eux-mêmes, cercle vertueux, l’augmentation de la reprise. Deuxième point de vue, celui de la critique comparée : que font, mieux ou plus mal, la plupart de nos proches voisins (alémaniques au premier chef) ? Troisième question, cette fois, plus existentielle : après les remarquables fabriques urbaines du XVIIIe et du XIXe siècles, celles des modernités des années 1930 et 1950 du XXe siècle, parfois plus critiquables mais dont les ruptures furent bel et bien là, le XXIe siècle, vagissant, a-t-il réellement une (ou des) alternative(s) urbaine(s) à nous proposer au delà des collections disparates d’emblèmes architecturaux de prestige destinées à affirmer le bien-fondé des entreprises qui les sous-tendent ? Et si, hélas, nul réponse nouvelle n’émerge, comment pallier le bric-à-brac urbain ? A-t-on raison de vouloir mettre à mal la culture locale des barres (surtout pour les logements) en rêvant d’éco-quartiers auto-construits sur des parcellaires plus petits ? Pas si sûr, répondent les spécialistes, Bruno Marchand en tête … Quant à la troisième ville de Christian de Porzamparc destinée à réconcilier les contextuels et les post-modernes, n’est-ce pas un pis-aller pour ravaudage d’un déjà là mal à l’aise ? Et ne parlons pas des visions de Rem Koolhaas, tant prisées par la relève, les tout jeunes bureaux des trentenaires, mais dont le bricolage faussement techno cette fois risque de ne pas davantage rassurer, voire pire, au delà des brillantissimes analyses de Lagos ou du Se-Chouan ! De grâce, ne revenons pas au néo-classicisme ambigu de nos amis allemands, Ungers et Kollhof en tête, foin de la nostalgie berlinoise ici. Et pourtant, Genève demeure la seule ville unitaire et composée de Suisse, de la rade à la Place Neuve et aux Tranchées : ce serait dommage de la tromper à présent par des artifices faussement clinquants venus d’on ne sait où ! Essayons cette fois de battre le rappel de nos bureaux locaux (plusieurs centaines, excellents), tâchons sans perdre de temps de penser à nouveau collectivement le défi à venir, selon quelles cohérences mais avec quelles libertés dorénavant indispensables… et Genève détrônera peut-être ces monstres rivaux que sont Barcelone, Paris, Londres, Amsterdam, Berlin, Hambourg, Milan, Lyon… Ce n’est plus un simple problème de reprise en main par quelques fortes personnalités à poigne (certes indispensables) : toute une énergie collective autour du « vivre ensemble lémanique » est en jeu urbain pour le futur, ne la décevons pas en nous tirant une nième balle dans le pied faute d’un élan commun puissamment stimulé par le désir de faire enfin mieux et comme les visionnaires que furent Braillard, Camille Martin et Saugey en leur temps.