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Journal d'Architecture

N° 73 | Hiver 2017-2018 | Connect

Edito

Sommaire

Après quatre ans d’absence, la revueFaces revient avec une nouvelle mouture qui reprend le graphisme initial et réaffirme son ancrage dans la culture visuelle et graphique suisse. Cette renaissance repose sur de nouveaux partenaires dont la Fédération des architectes suisse (FAS) section genevoise et les Hautes écoles spécialisées suisses de Genève (Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève, hepia) et Fribourg. Ces institutions assurent à la nouvelle revue Faces une assise solide, confortant les objectifs d’une publication qui a marqué le débat architectural européen depuis les années 1980.

Ce numéro « Connect » fait suite aux deux précédents numéros consacrés aux thèmes « En ville » et « Hors ville ». Évoquer un territoire connecté, c’est se référer, pour commencer, à la façon dont la Suisse s’est constituée au fil du temps comme « hyperville » (pour reprendre une expression d’André Corboz). Or, ce qui qualifie en partie cette urbanisation diffuse est la qualité, la diversité et la densité des voies de communication qui sillonnent le territoire. Aucun autre pays n’a développé au cours des siècles un tel réseau intégré de systèmes de communication à vitesse variable : pistes et chemins de randonnée et cyclables, itinéraires touristiques, routes carrossables et navigables, réseaux d’exploitations agricoles, autoroutes, chemins de fer, funiculaires, remontées mécaniques constituent le tissu enchevêtré qui qualifie le territoire et fabrique le paysage, c’est-à-dire conditionne l’expérience que l’on en fait.

Il y a plus de trois siècles, Rousseau, politicien, ajoute aux vertus morales du territoire alpin domestiqué par l’homme une qualité sociale. De son expérience suisse, il semble avoir été marqué par cette particularité du juste milieu entre état sauvage et urbanisé, qui évoque une humanité bien disséminée. C’est-à-dire un environnement qui concilie une densité raisonnable d’occupation du sol avec une faible compacité : « Je me souviens d’avoir vu dans ma jeunesse aux environs de Neuchâtel un spectacle assez agréable et peut-être unique sur la terre. Une montagne entière couverte d’habitations dont chacune fait le centre des terres qui en dépendent ; en sorte que ces maisons, à distances aussi égales que les fortunes des propriétaires offrent à la fois aux nombreux habitants de cette montagne le recueillement de la retraite et les douceurs de la Société. » Dans ses Rêveries, il écrira que « la Suisse entière n’est pour
ainsi dire qu’une grande ville, dont les rues larges et longues plus que celles de Saint-Antoine, sont semées de forêts, coupées de montagnes et dont les maisons éparses et isolées ne communiquent entre elles que par des jardins anglais ».

Cette urbanisation si particulière de la Suisse repose essentiellement sur la qualité de son système viaire que les voyageurs étrangers ont si bien décrit, dont les derniers exploits technologiques sont les tunnels du Lötschberg et du Saint-Gothard. Ces ouvrages pharaoniques sont, en même temps, l’expression de l’art de la négociation propre à l’esprit de gouvernance helvétique, toujours attentif à augmenter de façon égalitaire la connexion entre les parties les plus reculées du territoire et les centralités. L’espace infrastructurel est ce qui reste, dans certaines situations, comme dernier interstice qualifiant, comme dernière ligne traversable, parfois très ténue, qui permet de déployer une nouvelle forme de narration territoriale. Lorsque l’infrastructure est pensée comme espace et non seulement comme lieu de transit, elle réussit à lier la petite et la grande échelle, la pile d’autoroute et le banc en bordure de chemin. C’est ce que montrent certains exemples de projets illustrés ci-après et le texte théorique d’Éric Alonzo.

Enfin, force est de constater que cette notion d’infrastructure ne rime pas forcément avec dureté et monu- mentalité : elle se réalise parfois de façon subtile, elle peut être évolutive, construite avec les matériaux du paysage lui-même, elle peut être durable. Elle est parfois invisible, impalpable, comme les échanges d’informations entre les serveurs répartis sur la planète. Notre société de l’information développe en effet de nouvelles matérialités plus ou moins lourdes qui participent à une reterritorialisation des étendues jusqu’ici inhabitées, via des points d’accumulation d’énergie, de biens, de marchandises, ou de mémoire comme le montrent les articles de Pierre Bélanger et Sara Favargiotti. Pour constituer, au final, un territoire plus structuré et intégré mais aussi plus ouvert. Le défi étant de penser cette ouverture pour « faire projet ».

Paolo Amaldi, rédacteur en chef

Michael Jakob, guest editor